Françoise Tomeno

Françoise Tomeno

26 décembre 2012



Pensée du jour

Moïse Maïmonide disait qu'à chaque brin d'herbe correspondait une étoile dans le ciel.
Moïse Maïmonide
Médecin et philosophe
XIIème siècle

12 décembre 2012

Madame la Loire à Chaumont

Lorsqu'on arrive là, c'est chaque fois la même surprise, le même ravissement. Large, offerte, elle présente son enfant métissé aux quatre couleurs: l'eau, le sable, la végétation, le ciel. Réunissant le tout, donnant au tout son unité, sa si belle lumière. Elle n'est jamais si belle pour moi que là. Généreuse, joyeusement paisible, paisiblement joyeuse, elle semble paresser, s'abandonner.

Lorsque la nuit est dense, épaisse, et que l'on peine à la distinguer tout au long de la route, la surprise est  encore au rendez-vous, à ce même endroit. Elle brille, étale sa lumière. Elle est le contre-point de la lumière du jour. Sa couleur sombre et cependant brillante contient toutes les couleurs à venir, toutes les couleurs qui se révéleront juste un peu plus tard.

Madame la Loire.

Françoise Tomeno
12 décembre 2012

Conversation

"Bonjour", dit elle.
"Bonjour", dit la Loire,
"Je vous ai vue, cette nuit, mais vous ne pouviez pas me voir", dit elle.
"Que voulez-vous dire?" dit la Loire?
Elle ne répond pas à la question.

"Je remontais votre courant sur la rive gauche..."
"Vous n'aviez pas peur, toute seule dans la nuit?
"Ca va, je connais la route, j'ai l'habitude", dit elle.

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"Il n'y avait pas de brouillard, pourtant. Je ne pouvais pas vous voir parce que la nuit était profonde?", dit la Loire.
"Oui", dit elle, "elle était très profonde, toute noire, et pourtant le ciel était tout étoilé; c'était très étrange", dit elle.

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"Cela faisait comme si vous vous reflétiez dans le ciel. Un reflet à l'envers, en quelque sorte", dit elle.
"Un peu comme le négatif d'une photo?", dit la Loire?
"Un peu, oui", dit elle.

10 décembre 2012

"Bonjour", dit elle

"Bonjour", dit elle.
"Ah....  Vous êtes là?", dit la Loire
"Oui. Vous ne m'avez pas entendue arriver?", dit elle.
"Non", dit la Loire, "vous êtes là un peu plus tôt que d'habitude, un tout petit peu plus tôt cette fois-ci. Et puis... je rêvais".
"Ah, vous aussi?", dit elle.
"Oui, j'aime bien", dit la Loire.
"Moi aussi", dit elle.

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"Vous voulez savoir pourquoi je suis venue plus tôt?" dit elle.
"Si vous voulez", dit la Loire
"Lorsque je suis arrivée, le soleil était tout juste levé. La lumière était si belle que j'ai voulu venir voir ça tout de suite, et je ne suis pas allée au bistrot", dit elle.
"Eh bien!", dit la Loire,"c'est un événement, dites-moi...."
"Oui... Enfin, j'irai quand-même après....", dit elle.
"Ah, vous me rassurez", dit la Loire.


C'est ainsi que la journée d'elle commença ce matin là.

09 décembre 2012

"Bonjour", dit la Loire

"Bonjour", dit la Loire.
"Bonjour", dit elle

Elle marche tranquillement, en silence.

"Vous avez choisi de prendre la promenade par l'autre bout?", dit la Loire.
"Oui", dit elle. 
"Et vous êtes là bien plus tôt que d'habitude", dit la Loire.
"Oui..."
"Pourquoi?", dit la Loire.
"..................................... Je ne sais pas", dit elle, "ça s'est imposé comme ça, il fallait que je vienne vous voir, que je vienne parler avec vous".
"Ca n'explique pas pourquoi vous descendez le courant alors que d'habitude vous commencez votre ballade en le remontant, ni pourquoi vous êtes venue plus tôt", dit la Loire. 
Elle, réfléchissant: "Je ne sais pas. Plus tôt, c'est sans doute parce que j'espérais que vous auriez encore vos falbalas et vos fanfreluches de brume. C'est tellement beau! J'aime bien aussi cette partie de la promenade, avec ses petits jardins désuets, un peu kitch. Et puis je crois que d'aller dans le sens du courant, c'est aller vers la vie, vers l'estuaire et l'ouverture de l'horizon"
"Ah bon", dit la Loire.
"Mais je suis arrivée trop tard", dit elle. "Vous aviez déjà enlevé vos falbalas. Vous faites ça toujours à la même heure?"
"Oh non", répond la Loire en riant, "J'aime surprendre!..."
"Je n'aurais peut-être pas du prendre le temps d'aller boire un café", dit elle dépitée...
"C'est vous qui savez", répond la Loire, se moquant.

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"Ca sent le poireau ici", dit elle.
"Vous trouvez?", dit la Loire, "moi, je ne sens rien. Peut-être parce qu'ils cultivent du poireau, dans ce jardin?".
"Non, c'est tout en friche", dit elle
"Peut-être y a-t-il des poireaux sauvages?
Elles rient

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"Vous vouliez me dire quelque chose de spécial?", dit la Loire.
"Non, comme ça, peut-être même vous parler en silence".
"Ah oui, je vois, c'est bien aussi", dit la Loire.

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"Vous êtes toujours belle", dit elle.
La Loire se tait.

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"Même lorsqu'il y a du brouillard?", dit la Loire?
"Oui, même lorsqu'il y a du brouillard. Ces jours-là, vous êtes très belle. Tout est sobre et on ne voit que l'essentiel".

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"Une fois, je ne vous ai pas trouvée belle", dit elle.
La Loire, un peu piquée au vif: "Ah bon? C'était quand?"
"Une année de canicule. Vous n'aviez quasiment plus d'eau, et vous sentiez mauvais", dit elle.
"C'est à cause des hommes, ils font n'importe quoi avec le monde", dit la Loire.

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"Vous êtes encore plus grosse que la dernière fois", dit elle.
"Oui", dit la Loire, "ça m'arrive".
"On dirait même que vous allez déborder", dit elle.
"Ca m'arrive aussi", dit la Loire.
"C'est à cause des hommes qui font n'importe quoi avec le monde?", dit elle?
"Je faisais déjà ça avant, mais aujourd'hui les hommes ont tout bousculé, et c'est pire", dit la Loire.

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Elle rebrousse chemin.
"Vous rentrez déjà?", dit la Loire?
"Non, je reprends ma voiture, et je vais faire l'autre trajet, comme d'habitude, dans l'autre sens, remonter le courant, en partant du pont, et ensuite le redescendre".
"Ah bon? Pourquoi?", dit la Loire?
"Je ne sais pas bien, j'ai eu idée de ça ce matin, descendre et remonter d'abord, puis remonter et descendre après. Peut-être pour tester la vie? ", dit elle.

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"Vous permettez que je prenne une photo de vous?", dit elle?
"Hum", dit la Loire en s'amusant, "vous en prenez plein sans me demander mon autorisation, je crois....".
"Oui, mais là, ce n'est pas pareil. Je voudrais prendre une photo de vous où l'on verrait vos lèvres comme si elles étaient fermées, tout là-bas à l'horizon, alors que l'on sait qu'elles restent ouvertes. Ouvertes vers la source, vers l'espace où ça surgit, où quelque chose peut advenir", dit elle.
"Pourquoi ça n'est pas pareil?", dit la Loire?
"Parce que c'est un peu de votre intimité, je trouve", dit elle.

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"Qu'est ce que vous cherchez, quand vous prenez des photos?", dit la Loire.
"J'essaie d'attraper la lumière. Un ami que j'ai croisé tout à l'heure m'a dit: "Tu fais des photos par ce temps-là?". Je ne savais pas comment lui expliquer que, justement, par ce temps-là, comme il dit, il y a une lumière très spéciale, comme filtrée, et très belle, une lumière adoucie, qui n'éblouit pas". 

Un peu plus tard:
"Ah, vous revoilà", dit la Loire. "Vous avez mis un peu de temps".
Elle, gênée: ".. J'ai été boire un autre café..."


Elle chemine en silence

"Regardez", dit elle, "ce sont deux dames que je viens de croiser tout à l'heure, lorsque j'étais en train de revenir de la première partie de ma ballade. Elles ont l'air surprises. Je les ai bien attrapées, elles doivent se demander comment j'ai fait pour réapparaître à nouveau en face d'elles... Ca va peut-être un peu les troubler, vous ne pensez pas? C'est comme si j'avais été télétransportée....".

Elles rient.

Elle poursuit sa ballade, entre silence et murmure à son amie la Loire. Puis elle rebrousse chemin.

Elle s'assied sur un des bancs qui sont sur le parcours.
"Vous vous asseyez un moment?", dit la Loire? "Vous allez lire?"
"Oui, c'est agréable de lire ici, et je me suis bien couverte".

Au bout d'un moment, elle se lève.
"Ca y est, vous y allez?", dit la Loire?
"Oui".
"Alors on va s'en tenir là pour aujourd'hui?, dit la Loire, parlant comme une psychanalyste...
Elle, surprise par cette formule qu'elle connaît bien, mais à laquelle elle ne s'attendait pas de la part de la Loire: "Euh oui.. Je vous dois combien?"
La Loire, éclatant de rire: "Rien du tout!.. C'était une discussion entre filles, non?"

Elle, un peu troublée, s'en va, elle en rêvasse encore.
















07 décembre 2012

Parce que Zhu Xiao Mei


Parce que ses yeux ont l'art du silence
parce que ses mains ont l'art  du recueillement
parce que sa musique est un silence pour l'âme                                                 























J'ai choisi une version présentant l'intégrale des Variations Goldberg, jouées par Zhu Xiao Mei,  parce que les versions courtes coupent une variation en plein milieu, ce qui est insupportable à mon oreille. Mais écoutez le début, le recueillement est là.

06 décembre 2012

Françoise Tomeno
6 décembre 2012

La Loire est grosse, jaune, presque grise parfois. L'automne avance à la rencontre de l'hiver. Les rives se dépeuplent de leur végétation, les arbres perdent chaque jour un peu plus leurs feuilles, les beaux jaunes d'or pâlissent. Le mot qui me vient à l'esprit est celui de dénuement. Le regard s'accroche à ce qui se présente: une petite branche qui se tend vers l'eau, un tronc qui barre le fleuve, des touffes d'herbe, modestes, discrètes, parfois pleines de soleil, parfois revêtues de leurs vêtements de semaine, moins flamboyants. Un reflet dans l'eau, toujours émouvant parce qu'il restitue de la profondeur à ce qu'il reflète. 

Dénuement, comme parfois dans la vie. Une phrase de Geoges Didi Hubermann s'impose: "Nous sommes « pauvres en expérience » ? Faisons de cette pauvreté même – de cette demi-obscurité – une expérience ». En cette saison, les rives de la Loire se dénudent, "s'appauvrissent", mais sont riches de leur pauvreté.

La Loire m'offre un territoire pour cette pensée. Aller à la rencontre de la plus petite herbe, de la plus petite lumière. Prendre le temps de s'y attarder. 

Être touchée par le brouillard, qui, telle la neige, donne un fond sur lequel se détache la moindre lumière, le moindre reflet, la moindre silhouette d'oiseau, le moindre mouvement.

J'aime la Loire en toute saison. C'est mon amie.







04 décembre 2012

Automne





CELUI QUI DEMEURE DANS LA MONTAGNE

Dans la montagne déserte après la pluie nouvelle
L'air du soir apporte l'automne, 
La lune claire brille entre les pins,
La source limpide coule sur la pierre,
Les bambous résonnent du cri des lavandières s'en retournant,
Les lotus remuent quand passe la barque du pêcheur,
Alors les parfums du printemps s'assoupissent
Que l'enfant souverain sait conserver en lui-même.

Poème de Wang Wei
Traduction de Jean-François Rollin