L'offrande, elle, ne s'offre pas. On la dépose là, la divinité passera la prendre, ou pas. À certains moments de la vie, il faudrait avoir le courage de ne pas s'imposer avec son cadeau. Prendre le risque de l'offrande. Le risque que personne ne la remarque, ne la prenne. Une offrande nécessite, contrairement au cadeau, du travail de la part de celui qui décide de l'accueillir. Peut-être va-t-il, passant sur le chemin, ne pas la remarquer. Peut-être va-t-il la remarquer et passer son chemin. Peut-être va-t-il la remarquer, la distinguer (ce n'est pas pareil), décider de perdre un peu de son temps et l'examiner. Peut-être alors va-t-il décider de l'accueillir, de la "prendre à bras le corps" (j'aime beaucoup cette expression).
18 octobre 2012
Dans les semaines qui ont suivi ce premier texte, je me disais qu'il faudrait également parler du don.
Deux mois plus tard, un très cher ami, Thierry, avec qui j'ai partagé tant de bons moments dans nos temps de travail commun à la Clinique de Laborde, m'a invitée, sans même savoir que j'avais écrit quelques bricoles à ce sujet, à rejoindre un groupe qui réfléchissait précisément à cette notion de cadeau. C'était... cadeau!
Dans l'attente de la date à laquelle aurait lieu ce groupe, j'ai pensé qu'il faudrait y ajouter, également, l'emprunt, l'échange, mais aussi cette drôle de chose qui fait qu'un jour, on se découvre un geste, une posture, qui nous viennent d'une ou d'un autre. De même, on peut découvrir que l'on a osé s'aventurer sur un territoire que l'on n'avait jamais abordé jusqu'alors, où l'on reconnaît, là aussi, l'empreinte d'une rencontre.
J'ai donc, un beau jour d'octobre, rallié ce groupe, aussi bigarré que chaleureux. La discussion a lieu autour d'une table bien garnie de ce que chacune et chacun a apporté, nous sommes déjà dans le thème. Jean-François nous gratifie d'une paëlla à sa façon, dont le souvenir va nous rester longtemps.
Nous prenons un peu de temps pour aborder ce qu'il en est du don. Ce serait, selon nous, le fait d'adresser à quelqu'un, qui compte pour nous, un objet qui nous appartient et que nous aimons beaucoup. Il s'agirait donc de "se départir" de quelque chose à quoi l'on tenait, pour l'offrir à quelqu'un à qui l'on tient... Cela n'engage pas de dette comme dans la situation du cadeau.
Un don particulier serait celui de la parole. Là, pas d'objet tangible. Avant d'apparaître, la parole articulée n'existe pas, sitôt apparue, donnée, elle disparaît (et c'est là qu'elle se distingue de l'écriture). On donnerait donc, en donnant de la parole, quelque chose que l'on n'a pas, que l'on invente sur le champ pour quelqu'un. Éphémère, la parole peut cependant laisser des traces, une empreinte.
L'emprunt: c'est quelque chose que l'autre ne vous donne pas, mais qu'il accepte de vous prêter. Si vous connaissez le "prêteur", vous vous engagez à lui rendre l'objet emprunté. Si ce que vous empruntez est du domaine public, extraits d'un livre, d'un texte, ou image, vous vous engagez moralement à citer vos sources. Ainsi, dans la page d'accueil qui préside à ce blog, j'ai emprunté, avec plaisir, la notion de "lucioles" à Georges Didi Hübermann, telle qu'il l'évoque dans son livre "La survivance des lucioles". Un emprunt qui signale une empreinte.
L'échange? C'est cadeau contre cadeau, don contre don, emprunt contre emprunt, etc...? Il faudrait y réfléchir un peu plus....
Enfin, cette drôle de chose, décrite ci-dessus, où l'on découvre en nous l'empreinte laissée par une rencontre, à l'insu des "acteurs"... Les psychanalystes pourraient relier cela à la question des identifications, mais on pourrait gagner en poésie en lui donnant un autre nom. Reste à en trouver un. Il s'agirait d'une trace, d'une marque qu'imprime, qu'a imprimé une rencontre. "Imprimé", au sens quasi typographique du terme. Celle, celui qui a laissé sa marque, ne l'a pas décidé, celle, celui qui s'est trouvé "marqué", "impressionné"(on est toujours dans la typographie, voire la photographie, et là il faudrait aller chercher du côté du révélateur, qui a révélé quelque chose qui sommeillait en nous), celui-là donc, ne s'aperçoit qu'il a été "marqué" qu'après coup. Il s'agit donc bien d'une découverte, et il n'y a pas de dette.
Si la rencontre en question se conjugue au passé, d'aucuns pourraient dire: "C'est ce qu'il en reste". Le mot est mal choisi; il ne s'agit pas d'un reste, mais de quelque chose qui demeure, y compris "en l'absence". Traces, tels le geste ou la posture, ou principe actif qui nous permet d'habiter des territoires jusqu'alors inexplorés. "Demeure", "la demeure". Contenant qui dessine un espace en creux, une case vide, demeure dans laquelle vient s'inscrire quelque chose de l'ordre, là aussi, de l'empreinte.
En fait, cadeau, offrande, don, emprunt, empreinte, tout cela se situe, se déroule dans un "entre-deux", un écart. Seul cet écart permet le lien, tout en protégeant l'inatteignable qui gît en chacun de nous. Et c'est parce qu'il y a écart qu'il peut y avoir cadeau, offrande, don, emprunt, empreinte.