Françoise Tomeno
16 juillet 2012
Extraits de "Voir Clair à tout prix" [1] une communication faite par Brigitte Kuthy-Salvi [2] et Françoise Tomeno, lors des Journées d'Étude de l'ALFPHV [3], en 1985, à Tours.
J'ai choisi des extraits des courriers que j'ai adressés à Brigitte lors de notre correspondance, n'engageant là que moi-même. Ces extraits ne sont pas spécifiques de la psychanalyse, mais concernent la vie telle qu'en elle-même, c'est à ce titre que je les ai "logés" sur ce blog.
Brigitte Kuthy a de son côté fait paraître un passage de cette correspondance dans son très beau livre "Double Lumière".
L'ensemble du texte paraîtra dans un Florilège actuellement en chantier.
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❝ Faire avec l'ombre, les contours flous de la croisée des désirs, et n'en pas prendre ombrage.
Un rire clair, celui d'une voix, un autre répond, une autre voix. La clarté n'est pas dans la lumière : on dit bien "La clarté de la nuit" ?
"Mais il ne répondit pas à ma question. Il me dit :
- Ce qui est important, ça ne se voit pas...
- Bien sûr...
- C'est comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries.
- Bien sûr...
- C'est comme pour l'eau. Celle que tu m'as donnée à boire était comme une musique, à cause de la poulie et de la corde... tu te rappelles... elle était bonne.
- Bien sûr...
- Tu regarderas, la nuit, les étoiles. C'est trop petit chez moi pour que je te montre où se trouve la mienne. C'est mieux comme ça. Mon étoile, ça sera pour toi une des étoiles. Alors, toutes les étoiles, tu aimeras les regarder... Elles seront toutes tes amies. Et puis je vais te faire un cadeau...
Il rit encore.
- Ah ! Petit bonhomme, petit bonhomme j'aime entendre ce rire !
- Justement ce sera mon cadeau...ce sera comme pour l'eau...
- Que veux-tu dire ?
- Les gens ont des étoiles qui ne sont pas les mêmes. Pour les uns, qui voyagent, les étoiles sont des guides. Pour d'autres elles ne sont rien que de petites lumières. Pour mon businessman elles étaient de l'or. Mais toutes ces étoiles-là se taisent. Toi, tu auras des étoiles comme personne n'en a...
- Que veux-tu dire ?
- Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, puisque je rirai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire !
Et il rit encore.
- Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m'avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenêtre, comme ça, pour le plaisir... Et tes amis seront bien étonnés de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras : "Oui, les étoiles, ça me fait toujours rire !" Et ils te croiront fou. Je t'aurai joué un bien vilain tour...
Et il rit encore.
- Ce sera comme si je t'avais donné, au lieu d'étoiles, des tas de petits grelots qui savent rire...
(Extrait du "Petit Prince" de Saint-Exupéry)
Cette clarté, cette lueur qui n'est pas lumière, elle est celle qui se paie de déchirements et de séparations, de perte : perdre la vue, perdre des illusions ; c'est au prix de deuils multiples qu'elle se fait jour. Pour se voir, il faut pouvoir se séparer. Pour se regarder il faut pouvoir ne pas se voir, et écouter. ❞
❝ Pas n'importe quel prix. Lorsqu'il regardera les étoiles, c'est au prix de ne pas voir précisément celle du Petit Prince que Saint-Exupéry entendra son rire : c'est dans le flou de toutes les étoiles que pourra rester marquée cette rencontre.
Si quelque chose est à payer pour que naissent des rencontres, pour que le flou nous offre des traces et des parcours, mouvants dans le mouvement même de la vie, c'est ce déchirement même que contient toute rencontre, la perte d'une illusion, le pas-tout de la communication, qui alimente la permanence d'un désir : toujours renouvelé.
La déchirure ouvre béance sur le flou. La cicatrice est la marque, la trace du travail de réparation accompli et fait repère. Tous ces jeux avec le voir, le clair, le regard, l'ombre, jeux de mots, jeux de sens, jeux d'idée, mais jeux de vie, ne sont là que pour indiquer une route qui nous intéresse tous, fut-ce dans le fait même d'en détourner les yeux par crainte. ❞
J'ai eu plaisir à retrouver ces lignes, j'ai eu envie de les rendre présentes, vivantes. Si les rencontres vraies passent par ces moments de déchirement, de flou, elles n'en portent pas moins leurs lucioles, et leurs promesses de vie.
[1] Ce texte est né d'une rencontre, en 1984, à Lausanne, lors des Journées de l'association. Cette communication était en fait une correspondance entre Brigitte Kuthy Salvi et moi-même, autour du thème de 1985 "Y voir flou, nous, les autres".
[2] Brgitte Kuthy Salvi est aujourd'hui avocate en Suisse. Elle est l'auteur du très beau livre "Double Lumière", paru aux éditions de L'AIRE
[3]Association de Langue Française des Psychologues travaillant avec des personnes Handicapées de la Vue.