Françoise Tomeno

Françoise Tomeno

27 juillet 2012

UN BONHEUR DU JOUR

Françoise Tomeno
26 juillet 2012


Garer la voiture, si possible à l’ombre, il fait déjà très chaud en cette fin de matinée. Il y a juste une place le long du parc, sous les frondaisons des arbres. Porter vite au frais le panier avec les deux pots de basilic, les pains d’épices et le miel de Josette et Christian, que j’aime tant (les pains d’épices, le miel, mais aussi Josette, Christian), tout ça acheté à la foire de la Sainte Anne.

Prendre la petite rue juste sur ma droite, ce sera le chemin le plus court.

Quoique. Sur ma gauche, un des petits portails qui donnent accès au parc, au jardin. Ça rallonge, mais….

Allez, le panier n’est pas si lourd que ça, je vais prendre le chemin des écoliers. Ça me rappellera mon enfance, lorsqu’on traînait au lavoir en rentrant de l’école.

À peine franchi le petit portail, j’entends le son d’un saxophone. Quelqu’un joue du jazz. Ça vient d’où ? Je m’arrête un instant… Ca vient du petit kiosque (celui qui est en faux bois tarabiscoté et très kitch). C’est beau. Le son se détache sur les formes et les couleurs du jardin, traverse les ombres et la lumière. Il diffuse partout, reliant entre eux tous ceux qui passent dans le jardin, ou sont installés sur un des bancs.

Je prendrai donc un chemin des écoliers musical. Petite perle pour la journée.

Au fait, un « bonheur-du-jour » est un meuble destiné à l'écriture et plus spécialement aux dames…..

16 juillet 2012

LE RISQUE DU FUNAMBULE

Françoise Tomeno
16 juillet 2012

"Je continue d'avancer", me disait ma vieille amie de 90 ans. 

Aujourd'hui, voici comment je me formule cette affaire d'avancer dans la vie. Mais juste avant, cette petite remarque. Un jour que je saluais un collègue psychiatre avec le "Ca va?" traditionnel, il me répondit "Où ça?". Je fus embarrassée pour bien longtemps.

Parfois, lorsque l'on me demande si ça va, j'ai envie de sortir de mon sac un Joker. D'autres fois, de dire "Ca va, même si je ne sais pas très bien où ça va".

Donc, avancer, aller de l'avant dans sa vie.

La question est moins, aujourd'hui, "où", que "comment".

L'image du funambule s'est imposée à moi ces jours-ci.

Voici ce que cela donne. Sur le fil de la vie, on pourrait dire que l'on tient dans une main (moi, c'est la droite), ce qui nous pousse à vivre, ailleurs nommé désir. Dans l'autre main, la réalité, ses possibles, ses impossibles, ses ratés, ses merveilles, ses séparations, ses trouvailles, ses retrouvailles.

La posture du funambule serait alors de tenir sur le fil de la vie, en équilibre, avec pour balancier les deux bras porteurs de ces deux trésors. En équilibre? Hum, au fond, je crois que c'est plutôt en perpétuel déséquilibre, mais sans tomber.
Si possible.
Quand c'est possible.

Parce que, bien entendu, on tombe parfois. Parfois souvent. 

À certains moments, pas forcément les plus faciles, on tient assez longtemps sans tomber. Il s'ensuit une sorte de plaisir, de satisfaction d'être là, à la bonne place, dans la bonne position. La position qui laisse à l'autre sa place, lui laisse du champ pour venir, repartir. Ca n'est pas tous les jours que l'on y arrive, il faut un long apprentissage.....

Il s'agirait moins alors de "tenir" une position, avec volonté, contrainte, dureté, que de se tenir à une certaine place, avec souplesse, douceur, amusement, comme le funambule, qui n'en reste pas moins concentré.

Enfin moi, ce que j'en dis...!

UN TRANSFUGE, L'ANGE DU CAFÉ COMPTOIR

DU CADEAU ET DE L'OFFRANDE

Françoise Tomeno
16 juillet 2012

Lorsque l'on offre un cadeau à quelqu'un, il peut se trouver qu'on mette ce quelqu'un dans l'embarras. Le cadeau peut ne pas lui plaire du tout; ou bien être encombrant, pas le choix de réfléchir si le cadeau est recevable. Il peut mettre en dette celui qui le reçoit. Il peut précipiter un lien qui était tout juste en train de se faire. Il peut surprendre. Il peut flatter, et cependant gêner.

Je ne parle pas là des cadeaux "convenus" (au demeurant bien agréables), le bouquet  ou le livre lorsque l'on est invité à dîner.

L'offrande, elle, ne s'offre pas. On la dépose là, la divinité passera la prendre, ou pas. À certains moments de la vie, il faudrait avoir le courage de ne pas s'imposer avec son cadeau. Prendre le risque de l'offrande. Le risque que personne ne la remarque, ne la prenne. Une offrande nécessite, contrairement au cadeau, du travail de la part de celui qui décide de l'accueillir. Peut-être va-t-il, passant sur le chemin, ne pas la remarquer. Peut-être va-t-il la remarquer et passer son chemin. Peut-être va-t-il la remarquer, la distinguer (ce n'est pas pareil), décider de perdre un peu de son temps et l'examiner. Peut-être alors va-t-il décider de l'accueillir, de la "prendre à bras le corps" (j'aime beaucoup cette expression).


REGARD, OMBRE ET CLARTÉ

Françoise Tomeno
16 juillet 2012

Extraits de "Voir Clair à tout prix" [1] une communication faite par Brigitte Kuthy-Salvi [2] et Françoise Tomeno, lors des Journées d'Étude  de l'ALFPHV [3], en 1985, à Tours. 
J'ai choisi des extraits des courriers que j'ai adressés à Brigitte lors de notre correspondance, n'engageant là que moi-même. Ces extraits ne sont pas spécifiques de la psychanalyse, mais concernent la vie telle qu'en elle-même, c'est à ce titre que je les ai "logés" sur ce blog.
Brigitte Kuthy a de son côté fait paraître un passage de cette correspondance dans son très beau livre "Double Lumière". 
L'ensemble du texte paraîtra dans un Florilège actuellement en chantier.

✍✍✍✍✍

❝ Faire avec l'ombre, les contours flous de la croisée des désirs, et n'en pas prendre ombrage.

Un rire clair, celui d'une voix, un autre répond, une autre voix. La clarté n'est pas dans la lumière : on dit bien "La clarté de la nuit" ?

"Mais il ne répondit pas à ma question. Il me dit :
- Ce qui est important, ça ne se voit pas...
- Bien sûr...
- C'est comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries.
- Bien sûr...
- C'est comme pour l'eau. Celle que tu m'as donnée à boire était comme une musique, à cause de la poulie et de la corde... tu te rappelles... elle était bonne.
- Bien sûr...
- Tu regarderas, la nuit, les étoiles. C'est trop petit chez moi pour que je te montre où se trouve la mienne. C'est mieux comme ça. Mon étoile, ça sera pour toi une des étoiles. Alors, toutes les étoiles, tu aimeras les regarder... Elles seront toutes tes amies. Et puis je vais te faire un cadeau...

Il rit encore.

- Ah ! Petit bonhomme, petit bonhomme j'aime entendre ce rire !
- Justement ce sera mon cadeau...ce sera comme pour l'eau...
- Que veux-tu dire ?
- Les gens ont des étoiles qui ne sont pas les mêmes. Pour les uns, qui voyagent, les étoiles sont des guides. Pour d'autres elles ne sont rien que de petites lumières. Pour mon businessman elles étaient de l'or. Mais toutes ces étoiles-là se taisent. Toi, tu auras des étoiles comme personne n'en a...
- Que veux-tu dire ?
- Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, puisque je rirai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire !

Et il rit encore.

- Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m'avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenêtre, comme ça, pour le plaisir... Et tes amis seront bien étonnés de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras : "Oui, les étoiles, ça me fait toujours rire !" Et ils te croiront fou. Je t'aurai joué un bien vilain tour...

Et il rit encore.

- Ce sera comme si je t'avais donné, au lieu d'étoiles, des tas de petits grelots qui savent rire...

(Extrait du "Petit Prince" de Saint-Exupéry)

Cette clarté, cette lueur qui n'est pas lumière, elle est celle qui se paie de déchirements et de séparations, de perte : perdre la vue, perdre des illusions ; c'est au prix de deuils multiples qu'elle se fait jour. Pour se voir, il faut pouvoir se séparer. Pour se regarder il faut pouvoir ne pas se voir, et écouter. ❞


❝ Pas n'importe quel prix. Lorsqu'il regardera les étoiles, c'est au prix de ne pas voir précisément celle du Petit Prince que Saint-Exupéry entendra son rire : c'est dans le flou de toutes les étoiles que pourra rester marquée cette rencontre.
Si quelque chose est à payer pour que naissent des rencontres, pour que le flou nous offre des traces et des parcours, mouvants dans le mouvement même de la vie, c'est ce déchirement même que contient toute rencontre, la perte d'une illusion, le pas-tout de la communication, qui alimente la permanence d'un désir : toujours renouvelé.

La déchirure ouvre béance sur le flou. La cicatrice est la marque, la trace du travail de réparation accompli et fait repère. Tous ces jeux avec le voir, le clair, le regard, l'ombre, jeux de mots, jeux de sens, jeux d'idée, mais jeux de vie, ne sont là que pour indiquer une route qui nous intéresse tous, fut-ce dans le fait même d'en détourner les yeux par crainte. ❞


J'ai eu plaisir à retrouver ces lignes, j'ai eu envie de les rendre présentes, vivantes. Si les rencontres vraies passent par ces moments de déchirement, de flou, elles n'en portent pas moins leurs lucioles,  et leurs promesses de vie. 



[1] Ce texte est né d'une rencontre, en 1984, à Lausanne, lors des Journées de l'association.  Cette communication était en fait une correspondance entre Brigitte Kuthy Salvi et moi-même, autour du thème de 1985 "Y voir flou, nous, les autres".

[2] Brgitte Kuthy Salvi est aujourd'hui avocate en Suisse. Elle est l'auteur du très beau livre "Double Lumière", paru aux éditions de L'AIRE

[3]Association de Langue Française des Psychologues travaillant avec des personnes Handicapées de la Vue.

08 juillet 2012

TROIS HISTORIETTES, POUR DE VRAI, POUR LE FUN

Françoise Tomeno
8 juillet 2012

Ces trois petites histoires sont vraies, elles m'ont fait rire.

Historiette 1

C'est à l'époque des disques vinyle, dans un magasin spécialisé.
Un homme est à la caisse, et s'apprête à payer. Une femme attend derrière lui. L'homme tient à la main le disque "Champagne" de Jacques Higelin. La femme, elle, le disque "Caviar", du même Jacques Higelin.

La femme: "Vous avez le champagne, j'ai le caviar, nous pourrions peut-être dîner ensemble?"

L'homme n'a pas ri.

Moi, si! 



Historiette 2

Une femme traverse d'un pas alerte la grande place de la ville. Un homme marche derrière elle. Nous sommes à quelques jours de Noël, il fait juste un peu froid. Les gens pressent le pas, ils finissent les dernières courses pour la fête. La femme semble avoir le coeur à chanter. D'une belle voix de mezzo suffisamment forte pour qu'on entende les paroles, elle entonne un air de Marguerite, du Faust de Gounod: "Anges purs, anges radieux...". Elle n'a pas le temps de chanter la suite que l'homme, derrière elle, poursuit, avec une belle voix de baryton "....portez mon âme au sein des cieux".

C'est Noël, la fête aux anges. 

Il s'ensuivit...? Rien, c'était juste pour le fun!



Historiette 3

La scène se déroule dans le bus. Une femme est debout dans l'allée. On la voit de dos. Une belle chevelure rousse, une belle tenue. Un homme d'environ trente ans entre à la station suivante, et se trouve derrière elle. Il s'approche, et dans un mouvement très doux, lui pose la main sur l'épaule, en disant "Juliette....?". La femme se retourne. L'homme est surpris, gêné, ce n'est pas Juliette, et, visiblement, la femme est plus âgée que la belle qu'il s'attendait à trouver là, une petite soixantaine. Il se confond en excuses. La femme rit, et lui dit avec douceur: "Je vous en prie. J'aurais tant aimé être votre Juliette!". Gageons qu'elle a été flattée d'être ainsi prise pour la Juliettte de notre Roméo.....?. 

01 juillet 2012

MÉMOIRE VIVE

Françoise Tomeno
1er juillet 2012

C’était il y a quelques années. J’étais allée, suite à des recherches familiales, dans la ville où avaient habité et travaillé un oncle et un cousin de mon père, arrêtés le 20 mai 1942, emmenés au camp d'internement de Royallieu à Compiègne, puis déportés le 6 juillet de la même année à Auschwitz Birkenau, d’où ils n’étaient jamais revenus.

Je prenais des photos du lieu où ils avaient été arrêtés, leur lieu de travail, un salon de coiffure. J’avais été surprise en constatant qu’à cette adresse il y avait toujours le salon de coiffure. Après avoir pris quelques photos depuis l’autre côté de la rue, voyant que cela intriguait les personnes qui se trouvaient dans le salon, je suis entrée pour expliquer ce que je faisais là. La patronne me dit alors : « J’ai coiffé votre grand-tante il y a quelques jours ». Surprise pour moi, ma grand-tante était décédée depuis bien longtemps, et aurait dépassé très largement la centaine d’années. Je lui explique que c’est impossible. Elle me dit que, pourtant, la très vieille dame à laquelle elle pense s’est présentée, avec beaucoup d’émotion, comme la femme d’un coiffeur qui travaillait dans ce salon, qui avait été arrêté, déporté à Auschwitz, et qui n’en était jamais revenu. Cette dame avait précisé qu’elle-même travaillait à l’étage.

Très intriguée, je fais un rapide calcul, et je fais l’hypothèse que cette vieille dame d’environ 80 ans était peut-être la fiancée du cousin de mon père, fiancée dont l’histoire familiale mentionnait l’existence. Le cousin de mon père avait été arrêté deux jours après avoir fêté ses vingt ans.

Je demande alors à la patronne si je peux lui laisser mes coordonnées, afin qu’elle puisse, lorsque cette vieille dame reviendrait, lui faire part du fait que je souhaitais, si elle le voulait bien, la rencontrer. J’avais dans l’idée que je pourrais lui transmettre le fruit de mes recherches. Que savait-elle du motif de la déportation de son amoureux ? Que savait-elle de son décès ? Ma famille elle-même avait été, jusqu’il y a peu, dans l’ignorance, et c’est ce qui m’avait conduite à prendre contact avec les Archives en Allemagne, et à aller consulter les dossiers de mon grand – oncle et de son fils aux Archives de Caen.

La patronne me dit qu’elle ne sait pas si elle reverra cette dame, qui n’était venue que deux fois, qui n’avait parlé de la disparition de son homme que la deuxième fois. Et puis cette dame était très âgée.

Je repars avec l’espoir que je pourrai tout de même la rencontrer. Je sens monter en moi, pour cette femme, un immense respect, et beaucoup d’émotion. Quelle belle rencontre elle avait dû avoir avec mon grand – cousin pour venir ainsi, plus de soixante années après, évoquer son souvenir auprès de celle qui avait repris le salon récemment.

Je n’ai jamais eu de nouvelles de cette vieille dame. Elle n’est jamais revenue dans le salon de coiffure. Avait-elle accompli ce qu’elle devait à la mémoire de son homme ? Était-elle venue, par ce geste, témoigner de son attachement à cet homme, et d’une émotion toujours présente à l’évocation de son souvenir ?

Je n’ai jamais pu lui dire que son homme, et le père de celui-ci, avaient aidé des Français, faits prisonniers par les nazis, à s’échapper d’un camp d’internement, et à passer en zone libre. Je n’ai jamais pu lui dire qu’ils étaient tous deux morts très peu de temps après leur arrivée au camp de Birkenau, malades l’un et l’autre. Je n’ai jamais pu lui faire part des témoignages de leurs compagnons de déportation rentrés du camp. Je n’ai jamais pu….

Mais quel hasard l’avait fait venir au salon de coiffure quelques jours avant mon passage, rendant possible que j’apprenne son existence, sa fidélité à la mémoire de celui qui avait été son amoureux ?

Madame, j’ai pour vous un profond respect. Je remercie le hasard de m’avoir offert cette luciole de votre vie, et je suis heureuse de la publier ici.